Rupture brutale des relations commerciales établies – rappel des conditions
La réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies a été initialement introduite pour prévenir la pratique des déréférencements abusifs dans la distribution. Cette disposition s’est depuis largement étendue à tous les secteurs. .
Son régime juridique, qui impose aux partenaires économiques le respect d’une certaine loyauté dans la rupture de leurs relations commerciales, évolue constamment. L’ordonnance du 24 avril 2019 vient d’étendre à 18 mois le préavis de rupture selon lequel aucune responsabilité ne sera encourue.
Une relation commerciale établie
Par relation commerciale, on entend une relation entre professionnels portant sur la fourniture d’un produit ou d’une prestation de services. Le régime de la rupture brutale ne peut s’appliquer que dans le cadre d’une relation commerciale dont le caractère établi est démontré.
L’auteur de la rupture peut être « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services » (la référence spécifique au « producteur, commerçant, industriel » a été supprimée par l’ordonnance du 24 avril 2019). Le statut professionnel de la victime de la rupture importe peu et elle n’a pas à établir un état de dépendance économique.
Sont en revanche exclues les relations commerciales régies par un texte spécifique (agent commercial statutaire, transporteur routier de marchandises en sous-traitantance soumis au contrat type de la loi LOTI) et les activités à caractère non commercial (médecin, contrat administratif, etc.) ou régies par des dispositions statutaires telles qu’une société coopérative dont les statuts aménagent la cession des liens entre l’associé et la coopérative.
C’est le caractère régulier, stable et significatif de la relation commerciale qui lui confère son statut de relation commerciale établie. En d’autres termes, c’est en raison de la durée de la relation, de son renouvellement et du volume de chiffre d’affaires réalisé que la victime de la rupture pouvait légitimement croire à la poursuite de la relation.
La relation commerciale établie peut résulter aussi bien d’une relation contractuelle à durée déterminée ou indéterminée que d’une relation extra-contractuelle. C’est l’intégralité de la relation et sa durée qui sont prises en compte, peu importe que la relation découle d’un enchaînement de contrats différents ou qu’elle se poursuive en dehors du cadre contractuel.
On appréciera donc la relation commerciale établie en fonction de la réalité des liens entre partenaires économiques, indépendamment de leur formalisation juridique.
Par exemple :
- est établie la relation existant depuis 10 ans entre un fournisseur et un distributeur et résultant de la conclusion de contrats indépendants sans contrat-cadre, sans exclusivité et sans engagement de chiffre d’affaires ;
- est établie la relation fondée sur la conclusion successive et sans difficultés pendant 5 ans d’un contrat d’une durée d’un an non renouvelable (il en aurait été autrement, si l’attribution du contrat avait par exemple résulté d’un appel d’offres).
Rupture totale ou partielle de la relation
La rupture de la relation commerciale établie peut être :
- totale lorsque la relation s’arrête et qu’elle résulte soit d’une cessation des commandes ou des livraisons, soit d’une modification désavantageuse substantielle imposée unilatéralement, soit d’une baisse subite et importante du volume d’affaires ; ou
- partielle si la relation perdure mais qu’une baisse subite d’une partie du chiffre d’affaires résulte du comportement unilatéral de l’auteur de la rupture : diminution subite de certaines commandes ou déréférencement de certains produits, par exemple.
A noter que la notion de rupture partielle des relations commerciales établies peut être mise en échec en cas d’absence de protestation, d’acceptation par la victime ou d’abandon réciproque d’exclusivité.
Rupture brutale
La rupture est qualifiée de brutale lorsque son auteur n’a pas respecté un préavis suffisamment long permettant à son partenaire économique de trouver une alternative.
Ce préavis écrit doit tenir compte « notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels », mais également des circonstances de l’espèce au moment de la notification de la rupture (état de dépendance économique, nature des produits ou services, volume d’affaires, notoriété, investissements effectués par la victime, etc.).
Ces critères doivent être respectés y compris en présence d’un préavis contractuel fixé entre les partenaires économiques, lequel pourrait s’avérer trop court.
Depuis l’ordonnance du 24 avril 2019, on sait désormais quel est le délai de préavis qui exonère la responsabilité de l’auteur de la rupture : 18 mois, peu importe la durée de la relation commerciale.
A noter également que l’ordonnance supprime l’obligation de doubler la durée du préavis en cas de rupture d’une relation portant sur des produits sous licence de marque de distributeurs ou de mise en concurrence par enchères à distance.
C’est donc par une appréciation au cas par cas qu’on déterminera si le préavis donné, inférieur à 18 mois, est d’une durée suffisante pour rompre librement la relation commerciale établie.
Sanctions de la rupture brutale
L’auteur de la rupture brutale des relations commerciales établies manque à son obligation de loyauté et commet une faute qui engage sa responsabilité extra-contractuelle et qui l’oblige à réparer le préjudice subi par son partenaire économique.
Le préjudice indemnisable est celui qui résulte de la brutalité de la rupture et non de la rupture en elle-même. Les principaux critères d’évaluation de ce préjudice sont pour l’essentiel la perte de marge brute durant la période de préavis qui n’a pas été exécutée mais également les coûts liés à l’atteinte à l’image, les coûts de licenciement, les coûts d’adaptation des outils de production, etc.
Il est également possible, en dehors d’une action en dommages-intérêts, de demander la poursuite de la relation commerciale jusqu’au terme du délai de préavis qui aurait dû être respecté.
Louis CHARLES
Avocat au Barreau de Paris
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